Le Dr Anna Boctor est pédiatre en cabinet libéral à Cagnes-sur-Mer, non loin de Nice. Médecin engagée, elle nous partage son parcours, aussi inspirant que révélateur des enjeux de notre système de santé aujourd’hui en France, en particulier autour de l’égalité femmes-hommes.
Naître femme en Egypte
Je suis née dans une famille égyptienne. Ma mère, journaliste, et mon père, ingénieur, ont tous les deux fui l’Égypte après l’assassinat de Sadate et la montée de l’intégrisme. Mes parents m’ont élevée en me disant que je devais faire des études, puis me marier et avoir des enfants. Et après ?
En Égypte, une femme est avant tout une mère. Elle représente l’honneur de sa famille et veille à transmettre les valeurs sociétales et religieuses à ses enfants. Dans ma famille, les femmes font des études supérieures, mais sont toutefois destinées à entretenir leur foyer et s’occuper de leurs enfants. Elles doivent aussi veiller à ne pas froisser les hommes et toujours flatter leur ego. Nous nous partagions les tâches ménagères avec mes frères et ma sœur, mais progressivement, on nous a rapidement signifié à ma sœur et moi qu’il était légitime qu’un garçon ne fasse pas la vaisselle ou ne lave pas le sol. Qu’une fille n’avait pas le droit de sortir ou de dormir « en dehors de la maison de son père jusqu’à son mariage ». Qu’il fallait privilégier le bien-être d’un homme plutôt que celui de la femme.
Pédiatre, un rêve d’enfant
Aussi longtemps que je me souvienne, j’ai toujours rêvé d’être pédiatre. La mienne me donnait des bonbons lorsqu’elle me vaccinait, et Dieu sait que j’avais horreur des aiguilles ! J’aimais sa douceur et son cabinet. J’aimais prendre soin des enfants et la science me passionnait ! Pour moi, il était inconcevable que je n’exerce pas mon métier en toute indépendance et que je « finisse » comme toutes ces « bonnes mères » avec une maison parfaite, des enfants parfaits et un mari.
D’ailleurs, je ne projetais pas nécessairement de me marier, car mon père est brutalement décédé lorsque j’avais 10 ans et que j’ai toujours été habituée à voir ma mère tout gérer seule, loin de sa famille, à l’étranger. Bien sûr que je rêvais aussi du prince charmant, comme beaucoup de jeunes filles, mais ça aurait été trop beau pour être vrai… Et puis, je ne voulais pas d’un homme qui me mette des chaînes et qu’il faudrait que je ménage à chaque instant, quitte à m’oublier. Je savais que je n’épouserais pas un égyptien !
Faire tomber les obstacles
La médecine est assez étrangère dans ma famille. J’ai vaguement entendu parler d’une grande tante radiologue, devenue stérile à cause de l’exposition aux rayons. Mon choix n’était pas nécessairement compris par ma mère et surtout, il lui faisait peur : « Ce métier est trop dur moralement et trop triste, pourquoi ne pas être journaliste comme ton grand-père et moi ? ». Après la mort de mon père, nous étions dans une situation financière catastrophique. Mais nous n’avons manqué de rien grâce à la ténacité de ma mère. Nous vivions reclus dans une cité très précaire en banlieue parisienne, et notre quotidien était rythmé par l’école, les devoirs, les Minikeums et une Nounou d’Enfer. On ne partait pas en vacances tous les ans, mais on a partagé de merveilleux souvenirs tous les cinq.
Je crois que le cadeau le plus précieux qu’ait pu nous offrir ma mère, c’est de rêver. Elle nous répétait que tout était possible et que l’argent ne devait pas représenter un obstacle. Même si la réalité et la suite de mon histoire ne m’ont pas toujours montré que c’était simple, j’y crois profondément. Je voulais donc être pédiatre et travailler dans le meilleur hôpital pour enfants que je connaisse : Necker. Je suis allée voir la conseillère d’orientation au lycée pour lui dire que je voulais m’inscrire à la fac de médecine de Necker. Elle m’a répondu : « mais non, c’est beaucoup trop dur là-bas ». J’ai pris cette réponse comme un affront, sachant que j’étais une des plus brillantes élèves de ma classe. Rien ne devait représenter un obstacle à mon rêve.
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