Pour le Dr Anna Boctor, pédiatre près de Nice, concilier projets personnels et carrière professionnelle n’a pas été facile. Face à un système hospitalo-universitaire résistant, le Dr Boctor a dû faire des choix.
Choisir entre famille et carrière : la claque de l’hôpital
J’ai rencontré mon mari à la toute fin de mon internat, à l’aube de la trentaine. J’avais été nommée cheffe de clinique dans un beau service de pneumologie pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré, à Paris. J’avais une très bonne relation avec ma cheffe de service qui me faisait confiance. Deux mois après ma prise de fonction, elle me propose un poste de praticien hospitalier : « Je me vois construire le service avec toi. Mais à une condition : tu ne tomberas pas enceinte pendant les 2 prochaines années de ton clinicat. Tu diras à ton mari de calmer ses ardeurs et j’espère que tu prends la pilule. Tu as un mois pour réfléchir. »
Sur le moment, ça ne m’a pas interpellée. Mon mari, qui n’est pas médecin, était choqué. Qu’est-ce que ce chantage venait faire là ? Si j’acceptais, ce serait comme si je participais à perpétuer une injustice et je ne me le pardonnerais jamais. Et si j’avais du mal à tomber enceinte et que je perdais 2 ans de plus, je le regretterais. Ma décision était prise. En l’annonçant à ma cheffe, elle m’a mise à la porte de son bureau et la guerre froide a débuté. J’ai fait une fausse-couche, je n’ai rien dit, j’ai terminé mon clinicat de 2 ans la tête haute et je suis partie de Paris. Cette période de ma vie fait partie des plus dures.
Jeune maman à l’hôpital, lorsque les limites sont franchies
Je n’arrivais pas à tomber enceinte. Avec de l’aide, j’ai fini par attendre des jumeaux, que j’ai aussi perdus. Les collègues de mon nouveau service hospitalier m’ont envoyée faire la visite à la maternité le jour de ma reprise, après 2 jours d’arrêt de travail. J’ai fini par intégrer un autre hôpital, je suis tombée enceinte et mon fils est né en janvier 2020, en pleine pandémie COVID-19. Lorsque j’ai repris le travail, il avait 3 mois. Il faisait le trajet d’une heure et demie chaque matin avec moi car je n’avais trouvé aucun autre moyen de le faire garder. Le premier jour de ma reprise, l’équipe médicale ne m’a pas adressé la parole, pas même un bonjour. J’ai terminé tard ce jour-là. Je suis allée chercher mon fils à la crèche de l’hôpital. Il m’attendait calmement sur son petit transat, le sol mouillé tout autour de lui car c’était le ménage de fermeture. J’ai pleuré sans pouvoir m’arrêter jusqu’au milieu de la nuit.
Pourquoi lui infliger ça ? Je me suis alors décidée : l’hôpital, c’était terminé. Quelques jours plus tard, le chef de service a déclaré en réunion d’équipe que je devais rattraper les gardes que je n’avais pas faites durant mon congé maternité. J’ai fait 3 fois plus de gardes les week-ends que tous mes collègues. Je n’ai plus vu mon fils. Trois mois après, j’ai remis ma démission avec un mail bien senti à la direction.
S’engager pour faire cesser les inégalités dans le monde médical
L’écriture a toujours été une thérapie pour moi, et j’avais alors une rage que je devais apaiser. J’ai décidé d’écrire une tribune pour dénoncer l’injustice subie par les femmes médecins. Il fallait que ça cesse ! J’ai contacté le syndicat Jeunes Médecins (JM) afin qu’ils m’aident à recueillir d’autres témoignages pour étoffer mon propos. Cette tribune, co-écrite avec le Dr Lamia Kerdjana, ancienne présidente de Jeunes Médecins Ile-de-France devenue une amie, a été publiée dans le journal Le Monde en septembre 2020 - soit 1 mois après ma démission ! - et en version papier s’il-vous-plaît ! Plus de 300 médecins l’ont signée.
Aujourd’hui, je suis vice-présidente et trésorière de Jeunes Médecins national, en charge de l’égalité femmes-hommes. J’ai découvert ce que c’était que d’aller au bout de ses convictions et d’agir pour que le monde soit meilleur grâce au syndicalisme. Je me suis installée en cabinet libéral, et j’ai aussi découvert l’entrepreneuriat, l’indépendance et le bonheur d’aller travailler chaque jour. Bien sûr, tout n’est pas simple, et faire le deuil de mon rêve initial d’une carrière à l’hôpital a été long. Mais j’ai compris qu’en réalité, j’avais fini par le réaliser, ce rêve. Ou plutôt ces rêves : celui de soigner, d’être actrice de mon temps, et aussi celui d’être maman. J’ai accueilli une merveilleuse petite fille en novembre 2021. Finalement, la vie est pleine de surprises et ne se déroule jamais comme prévu. À nous de la rendre belle et intense pour en tirer notre bonheur.