Conseils pour gérer une urgence psychiatrique dans son cabinet

Bonjour Ă  toutes et Ă  tous,

Les troubles psychiques touchent près d’une personne sur cinq en France, et tous les professionnels de santé savent que certains de leurs patients peuvent en souffrir.

Dans des cas extrêmes, ces troubles peuvent s’aggraver et nécessiter une prise en charge urgente. Ainsi, tout professionnel peut se retrouver confronté à une urgence psychiatrique dans son cabinet.

Ces situations, bien que variées, sont avant tout des urgences médicales, caractérisées par la souffrance du patient et un risque pour lui-même, nécessitant une prise en charge adaptée.

Qu’il s’agisse d’un risque de passage à l’acte suicidaire ou d’un état d’agitation aiguë, ces situations demandent une réaction rapide et maîtrisée.

Comment protéger le patient, gérer la crise et savoir qui appeler ? Psychiatre depuis 6 ans, voici mes conseils concrets pour aborder ces situations le plus sereinement possible.

:mag_right: Comprendre l’urgence : qu’est-ce qu’une crise psychiatrique ?

L’urgence psychiatrique se définit comme « une demande dont la réponse ne peut être différée et nécessite une réponse rapide et adéquate de l’équipe soignante afin d’atténuer le caractère aigu de la souffrance psychique ».

Elle se caractérise par une détérioration soudaine de l’état mental du patient et une rupture avec son fonctionnement habituel.

Voici quelques exemples :

  • Attaque de panique : palpitations, sueurs, sensation d’étouffement, dĂ©personnalisation.

  • Risque de passage Ă  l’acte auto-agressif : risque suicidaire ou d’auto-mutilation.

  • DĂ©compensation d’un trouble psychotique : hallucinations, idĂ©es dĂ©lirantes, discordance idĂ©o-affective.

  • État d’agitation aiguĂ« : intoxication aiguĂ«, prise de substances, Ă©tat maniaque, etc.

:vertical_traffic_light: Sécuriser l’environnement

:warning: Ne vous mettez jamais en danger. Dans une urgence psychiatrique, la sécurité de l’espace est essentielle.

Voici quelques ajustements simples qui peuvent faire la différence.

  • Retirez les objets dangereux : vĂ©rifiez que la pièce ne contient pas d’objets potentiellement dangereux comme des ciseaux, stylos mĂ©talliques ou autres objets contondants.

  • Gardez l’accès Ă  la porte dĂ©gagĂ©. Assurez-vous que l’accès Ă  la porte reste libre.

  • PrĂ©parez-vous Ă  contacter de l’aide. Assurez-vous de pouvoir facilement contacter un collègue, une personne ressource, ou les secours si nĂ©cessaire.

  • Offrez un cadre apaisant. Un espace sĂ©curisĂ© permet de crĂ©er un environnement apaisant pour le patient et vous aide Ă  gĂ©rer la situation plus sereinement.

:person_in_lotus_position: Gérer l’agitation et le risque de violence : prévenir plutôt que guérir

On ne va pas se mentir, ce genre de situation est souvent source d’angoisse pour les soignants. Comment gérer cela au mieux ? Le mot d’ordre, c’est la prévention.

Voici quelques astuces :

  • Quand un patient s’agite, adoptez une attitude calme pour dĂ©samorcer la situation avant qu’elle ne s’envenime.

    • Évitez les ordres ou les phrases qui pourraient provoquer une escalade, comme « Calmez-vous ! ».
    • PrĂ©fĂ©rez plutĂ´t des formulations apaisantes telles que : « Parlons de ce qui vous met en colère. » Ces phrases permettent de valider l’émotion du patient, tout en l’encourageant Ă  exprimer ce qui le perturbe.
  • Adoptez une posture non menaçante et dĂ©sencombrez l’espace de tout objet potentiellement dangereux.

  • Choisissez les mots justes au bon moment, privilĂ©giez des phrases calmes et simples, comme « Je suis lĂ  pour vous, parlons de ce qui vous dĂ©range » ou « D’accord, je vois que vous ĂŞtes très en colère. Que puis-je faire pour vous aider ? ».

:thinking: Évaluer rapidement la situation

L’évaluation de l’urgence doit être immédiate et basée sur quelques questions clés.

  • Le patient prĂ©sente-t-il un danger immĂ©diat pour lui-mĂŞme ou pour les autres ?

  • A-t-il des pensĂ©es suicidaires ?

  • Est-il capable de coopĂ©rer avec vous ?

Il est important d’évaluer l’urgence en considérant la rapidité d’évolution, la verbalisation d’un projet de passage à l’acte, la présence ou l’absence de soutien social, et les conduites à risque (abus de substances, comportements dangereux, etc.).

:point_right: Pour obtenir ces informations, il est nécessaire de dialoguer avec le patient et de développer une alliance thérapeutique.

:handshake: Créer une alliance thérapeutique

Même en crise, il est possible de nouer un lien thérapeutique. Cela implique une écoute active et la reformulation des propos du patient.

Voici quelques formules apaisantes :

  • « Je comprends que vous vivez un moment difficile. Comment puis-je vous soutenir ? »

  • « Ce que vous traversez est important. Nous allons trouver des solutions pour vous aider Ă  aller mieux. »

  • Reformuler les propos du patient peut avoir un effet apaisant : « Donc si je comprends bien, vous vous sentez accablĂ© et vous avez l’impression que ça ne va jamais s’amĂ©liorer. » Cette technique montre au patient qu’il est entendu.

:wave: Orienter / adresser / demander de l’aide

Après avoir sécurisé l’espace, rassuré le patient et évalué sa souffrance, il est crucial de l’orienter vers un professionnel de la santé mentale ou une structure adaptée. L’alliance que vous aurez créée facilitera cette étape.

Évitez de minimiser ou de banaliser ces situations. Si vous n’êtes pas un professionnel de la santé mentale, vous risquez de passer à côté d’une situation grave. Orientez le patient vers :

  • Son mĂ©decin traitant ou psychiatre pour une prise en charge mĂ©dicale.

  • Le SAMU (15).

  • Les urgences psychiatriques hospitalières ou, Ă  dĂ©faut, le service d’urgences gĂ©nĂ©rales le plus proche.

:information_source: Quelques formations en gestion des urgences psychiatriques

Pour mieux gérer les urgences psychiatriques, plusieurs formations existent :

  • Formation Ă  la prĂ©vention de la crise suicidaire : en lien avec les Agences RĂ©gionales de SantĂ©.

  • Formation Omega : axĂ©e sur la gestion de la violence en milieu mĂ©dical, cette formation aborde les techniques de dĂ©sescalade physique et verbale.

:point_right: N’hésitez pas à partager d’autres formations que vous avez pu suivre.

En conclusion : anticiper pour mieux agir, telle est la clé

Pour conclure, les urgences psychiatriques peuvent sembler déconcertantes, mais en gardant votre calme et une attitude professionnelle, elles deviennent plus gérables. Restez calme, agissez en sécurité et orientez le patient vers les structures appropriées.

Bibliographie et ressources
  1. Haute Autorité de Santé. Mieux prévenir et prendre en charge les moments de violence dans l’évolution clinique des patients adultes lors des hospitalisations en service de psychiatrie. Guide méthodologique. Paris: HAS; 2016.
  2. Circulaire du 30 juillet 1992 relative à la prise en charge des urgences psychiatriques, Bulletin officiel du ministère chargé de la santé n° 92/38 p. 89-98
  3. Richmond, J. S., et al. (2012). Verbal de-escalation of the agitated patient.
  4. Numéro national de prévention du suicide (3114)
  5. GEPS. Groupement d’étude et de prévention du suicide : https://www.geps.asso.fr/articles.php?rub=16&selopt=4

Merci de m’avoir lu, j’espère que ces conseils concrets pourront vous aider.
Échangeons ensemble dans les commentaires ci-dessous !

Belle journée :blush:
Dr Camelot

10 « J'aime »

Merci pour cette synthèse et ces conseils !
Communication et prévention :hugs:

3 « J'aime »

Excellents conseils, un grand merci @DrCAMELOTGuill pour ce résumé de ces types de situations d’urgence, et les questions clefs à se poser pour gérer au mieux pour le patient et notre sécurité.

J’ajouterai également ces états de désespoir que peuvent présenter certaines personnes, déprimées et profondément lasses, dans lesquels le suicide devient une solution pour eux. Ils sont souvent très calmes, cyniques, peu locaces. Ils n’en parlent pas d’ailleurs spontanément, cela vient si on creuse de façon délicate le sujet avec eux.

Avez-vous des recommandations pour ces situations? Je pense que ces états devraient être plus identifiés en consultation de médecine générale.

2 « J'aime »

@DELANNOYCaroli Vous avez tout à fait raison : ces états de désespoir profond, faisant évoquer un état mélancolique avec une forte résolution suicidaire, sont particulièrement préoccupants. Le calme apparent et le cynisme que vous décrivez peuvent masquer une détresse extrême, et ces patients présentent alors un risque suicidaire majeur.

Dans ces situations, il est essentiel d’évaluer explicitement le risque suicidaire, même si le sujet peut sembler délicat, au travers de questions directes mais empathiques. Ces situations sont particulièrement inquiétantes et doivent amener à une prise en charge urgente, par exemple via les urgences psychiatriques, ou le SAMU (15) si le risque est immédiat.

Merci de souligner l’importance de rester vigilants face à ces situations parfois silencieuses mais urgentes.

1 « J'aime »

Merci pour ces précieux conseils.
On parle souvent d’évaluer le risque suicidaire (à savoir le risque de passage à l’acte) et en même temps il y a une idée qui circule selon laquelle, une personne qui aurait un scénario bien établi serait finalement moins à risque. Comment gérer ce paradoxe et sur quels critères objectifs évaluer finalement ce risque suicidaire ? Merci

1 « J'aime »

Je vous remercie de votre retour.
Vous soulevez un point essentiel concernant la présence d’un scénario défini et la perception du risque associé.

La détermination suicidaire au travers d’un scénario précis, et l’accès aux moyens sont des critères cruciaux. Comme vous le mentionnez, une forte résolution, combinée à une apparente amélioration symptomatique rapide, mérite une attention particulière, car elle peut signaler un risque accru, notamment dans le cadre d’un « calme avant la tempête ».

Parler ouvertement du suicide avec le patient aide souvent Ă  dĂ©samorcer l’isolement ressenti et Ă  mieux comprendre son Ă©tat d’esprit, par le biais d’une approche directe et empathique. Associer l’entourage peut Ă©galement enrichir l’évaluation, en dĂ©tectant d’éventuels indices comportementaux comme un changement brutal d’habitudes, ou bien la mise en place de « comportements de dĂ©parts Â».

Par ailleurs, il est possible de s’aider de l’échelle RUD (risque - urgence - dangerosité) pour structurer l’évaluation. Les critères incluent :

  • Risque : facteurs prĂ©disposants (comme les antĂ©cĂ©dents), contexte psychosocial, troubles psychiatriques sous-jacents, …
  • Urgence : imminence de l’acte, accès aux moyens, prĂ©sence ou non d’une critique du projet.
  • DangerositĂ© : lĂ©talitĂ© potentielle des moyens envisagĂ©s

Enfin, il est important d’être attentif à l’évolution du patient : tout changement rapide, qu’il s’agisse d’une amélioration soudaine ou d’une aggravation, doit être pris au sérieux.

Dans le doute, lorsqu’on se sent peu confiant dans son évaluation de la la situation, il est préférable de l’orienter vers les urgences. Cela permet d’obtenir un second avis dans un cadre différent.