Psychologue clinicienne à Paris et active sur les réseaux sociaux, Danaë Holler revient sur les douze mois qui se sont écoulés, entre menace épidémique et confinements. Si la crise sanitaire a eu des impacts préoccupants sur la santé mentale, elle a aussi eu un effet plus bénéfique : un début de prise de conscience de l’importance d’avoir un esprit sain. Au cœur de l’actualité, la prise en charge de la santé mentale des Français est également le thème de l’étude “Agir face aux impacts de la Covid-19. Psychologues, psychiatres et médecins généralistes mobilisés”.
Avec le coronavirus, les alertes se multiplient sur l’état de santé mentale des Français : hausse des états dépressifs, troubles de l’humeur, stress… Percevez-vous aussi cette vague dans votre cabinet ?
Ce n’est pas arrivé immédiatement. J’ai commencé à recevoir de nouveaux patients à partir de la fin de l’été 2020. Les motifs de consultations ont évolué. Les personnes qui viennent me voir aujourd’hui sentent que ça ne va pas, elles ont besoin d’être accompagnées. Elles évoquent beaucoup la question de la solitude, ainsi que des traumas dont la Covid-19 a été le vecteur. La patientèle a évolué aussi : je reçois beaucoup de femmes, de jeunes actives que je ne voyais pas forcément auparavant.
Les tabous autour de la psychologie, la peur de consulter un psy sont-ils en train de se fissurer ?
L’épidémie a agi à la fois comme un déclencheur de traumas, mais aussi comme un déclencheur de prise de conscience : avoir un esprit sain, c’est important. Les langues commencent à se délier, on ose davantage en parler, il devient moins tabou de dire qu’on prend soin de sa santé mentale. On vient de très loin, la psycho-phobie est importante ! Les termes utilisés pour en parler suffisent à l’entendre : on parle toujours de “bien-être”, de “développement personnel”, mais jamais de “santé mentale”, parce que ça fait peur, c’est associé à la psychiatrie. De même, on a beaucoup lu dans la presse des injonctions à “bien vivre son confinement”, comme si on n’avait pas le droit de mal le vivre. C’est pourtant un enfer ! Je pense que les réseaux sociaux permettent de faire changer le regard sur la santé mentale, grâce aux influenceurs qui disent voir un psy. Présente sur les réseaux, j’essaie aussi d’aller dans ce sens, en racontant mon vécu, mon quotidien.
Vous parlez de la crise sanitaire comme d’un “déclencheur de traumas” : quels sont les mécanismes à l'œuvre ?
Cela fait longtemps qu’on est en eaux troubles dans le champ de la santé mentale. Le village psychiatrique était déjà bien détruit avant le passage du tsunami. La Covid-19 a mis en lumière beaucoup de choses dans ce domaine. D’un point de vue individuel, l’épidémie a touché la santé et l’économie, deux piliers sources de beaucoup d’angoisses. Elle a remué tellement de sédiments traumatiques… Le confinement est venu tous nous sidérer et nous sortir de notre zone de confort. Je pense que c’est seulement dans des années que l’on pourra évaluer les effets de cette période sur la santé mentale.
Comment avez-vous géré cette période ? Un sondage mené par Doctolib indique que 30 % des psychologues ne se sont pas sentis suffisamment armés face à la crise…
L’épidémie nous a poussé à être flexibles et à nous adapter. Lors du premier confinement, je suis passée à la téléconsultation à 100 %. J’avais déjà expérimenté ce mode d’échange en 2019, quand les mouvements sociaux bloquaient Paris, ou pour suivre, de façon ponctuelle, des patients en vacances. Encore aujourd’hui, je pratique la consultation à distance à 70 %, le reste en présentiel. Cela diversifie la pratique. La coordination entre professionnels est aussi un facteur important. Je milite pour une alliance entre les psychologues : c’est main dans la main qu’on doit avancer. Je déplore l’opposition entre les psychiatres et les psychologues. Il y a de la place pour tout le monde ! La communication entre professionnels est très importante et doit s’améliorer. À titre personnel, j’ai misé sur les réseaux sociaux et les professionnels autour de moi qui étaient ouverts à la discussion.
On vous pose rarement la question… Comment allez-vous ?
Ça va, merci ! Mais ça pourrait aller mieux… Nous avons tous été impactés. Ce n’est pas parce qu’on est psychologues qu’on est immunisés. Comme tout un chacun, nous sommes aussi exposés au burn-out. Je suis accompagnée par un psychologue, un psy pour psy ! C’est important d’avoir son espace de parole.
Les projecteurs sont braqués sur la santé mentale. Qu’attendez-vous après cette prise de conscience ?
Il y a eu une mise en lumière de la santé mentale. Mais que fait-on maintenant ? J’espère qu’il y aura aussi une prise de conscience de la part des pouvoirs publics sur les moyens donnés à la santé mentale. Je milite pour un meilleur accès aux soins psychologiques pour les patients, pour un remboursement des consultations chez le psychologues - des expérimentations sont en cours, mais à des niveaux tellement bas…